Funding loss – La Cour de cassation tranche une importante controverse (arrêt du 11 février 2022)

La limitation à 6 mois d’intérêts des indemnités de remboursement anticipé est-elle susceptible de s’appliquer aux crédits travaux professionnels ?

Ou pour l’énoncer autrement, un crédit qui a été prélevé en plusieurs tranches peut-il être qualifié de prêt ?

Cette question se pose fréquemment en pratique à l’égard de certains crédits à la construction qui impliquent un prélèvement intégral des fonds mis à la disposition du crédité, mais permettent ou imposent de les prélever en plusieurs fois (le plus souvent sur présentation de factures démontrant l’évolution des travaux).

Elle a jusqu’à ce jour divisé les juridictions et les auteurs de doctrine du Pays.

La jurisprudence majoritaire, à tout le moins au sud du Pays, y répond par l’affirmative en retenant la possibilité de qualifier en prêts des contrats dont le montant déterminé mis à disposition du crédité a fait l’objet de plusieurs prélèvements (voy. not. Liège, 3 octobre 2018 J.L.M.B., Larcier, 2019, n° 4, p. 175 ; Bruxelles, 13 mai 2016, D.A.O.R., 2016/3, n° 119, p. 13).

Ces arrêts s’appuient le cas échéant sur une partie importante de la doctrine, qui énonce en ce sens que rien n’interdit pour un contrat de prêt que la remise des fonds soit échelonnée dans le temps (H. De Page et R. Dekkers, 1975; D. Blommaert et Fr. Bonnarens, 2010 ; M.-D. Weinberger, 2014 ; C. Biquet-Mathieu, 2015 ; C. Alter et L. Van Muylen, 2015 ; V. Wastiau et M.-D. Weinberger, 2020. D. Blommaert semble toutefois être revenu sur sa position in D. Blommaert et J. Benoot, 2019).

Notre Cour de cassation a répondu à cette question dans son arrêt du 11 février 2022, en validant cette position majoritaire.

Dans cet arrêt, la Cour rappelle tout d’abord sa jurisprudence relative à la promesse de prêt (arrêts des 11 mars 2021 et 14 juin 2021).

Elle énonce ce faisant que « Le caractère réel du contrat de prêt ne fait pas obstacle à ce que les parties s’engagent préalablement par une promesse réciproque à livrer la chose et à l’accepter, laquelle se dénoue en un prêt par la remise de la chose ».

Elle précise ensuite que « Lorsque la promesse réciproque porte sur une certaine quantité de choses, il ne s’oppose pas davantage à ce que la remise de ces choses soit échelonnée et modifie au fur et à mesure l’objet du prêt ».

Notre Cour suprême tranche ainsi l’une des dernières controverses subsistant en matière de funding loss.

Vous l’aurez compris, notre question de départ appelle une réponse affirmative : Oui, un crédit (à la construction ou ayant un autre but) peut être qualifié de prêt alors même que les fonds ont été prélevés en plusieurs tranches.

Dans le cadre d’un prêt, le montant prêté peut être remis en plusieurs fois.

Encore faut il toutefois que le crédit en question présente les caractéristiques d’un prêt, et non celles d’une ouverture de crédit.

Si le contrat de crédit confère au crédité le droit de prélever des fonds en plusieurs tranches jusqu’à concurrence d’un plafond déterminé, en lui offrant la liberté de ne pas prélever tout ou partie des fonds (pour un rappel de ce critère, voy. Cass., 3 février 2022), il constitue une ouverture de crédit.

Les prélèvements effectués par le crédité en exécution de cette ouverture de crédit ne sont alors pas qualifiables de prêts (Cass., 18 juin 2020).

Il est donc nécessaire d’examiner chaque contrat (et de l’interpréter au regard de l’intention des parties) pour pouvoir le qualifier (ou le requalifier en s’écartant du libellé qui lui a été donné par les parties).

Et c’est seulement à l’issue de cet exercice d’interprétation et de qualification juridique – lorsqu’il est établi que le crédit que vous souhaitez rembourser est bien un contrat de prêt – qu’il sera acquis que l’indemnité réclamée lors du remboursement anticipé doit être limitée à un maximum de 6 mois d’intérêts.

Pour plus de détails sur cet exercice de qualification du contrat de crédit, cliquez ici.

Les banques ont, jusqu’à présent, fait preuve d’une grande résistance à l’égard des enseignements délivrés en matière de funding loss par la Cour de cassation.

L’enseignement fort clair qui ressort de l’arrêt du 11 février 2022 ne pourra toutefois que participer à l’apaisement de ce contentieux, qui retient encore trop souvent l’attention de nos Cours et Tribunaux.

Laurent Frankignoul, avocat

Le 29 mars 2022

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