Funding loss – Puis-je récupérer une indemnité payée sans réserves ?

L’indemnité qui peut être réclamée lors du remboursement anticipé d’un prêt à but professionnel est limitée à 6 mois d’intérêts.

Ceci en application de l’article 1907bis du Code civil.

Nous avons déjà eu l’occasion d’expliquer que des contrats intitulés crédit d’investissement, ouverture de crédit, ou autrement, constituent dans certaines circonstances des prêts auxquels s’applique cette limitation légale.

Qu’en est-il dès lors des indemnités que vous payez à l’occasion du remboursement anticipé de ces crédits professionnels (re)qualifiables en prêts, alors que vous ignorez la protection qui vous est offerte par l’article 1907bis ?

Le principe est simple : vous avez le droit d’en exiger le remboursement par votre banque, et ce quel que soit le nom que celle-ci donne à l’indemnité (funding loss, indemnité de rupture, indemnité de remploi, etc.).

Ou plus exactement, vous pouvez exiger le remboursement de la partie de l’indemnité qui dépasse 6 mois d’intérêts.

Cela étant, nombre d’entre vous n’en prennent conscience qu’à l’occasion de la lecture d’un article dans la presse ou sur les réseaux sociaux, plusieurs mois (voire plusieurs années) après que le remboursement ait été effectué.

Lorsque vous interpellez votre banque, il vous est alors fréquemment répondu que votre demande de remboursement est tardive, de sorte qu’il n’y sera pas fait droit.

Pourtant, rien n’impose à un emprunteur de faire immédiatement usage du droit qu’il tire de l’article 1907bis.

Le principe est donc bel et bien que vous pouvez réclamer à votre banque le montant de l’indemnité (dépassant 6 mois d’intérêts) qui a été payé à l’occasion du remboursement anticipé du prêt, quand bien même ce remboursement remontrait à plusieurs années.

Mais qui dit principe dit également exceptions.

Il existe ainsi des circonstances dans lesquelles vous êtes privé(e) de cette possibilité, la banque pouvant alors légitimement refuser de vous rembourser.

Quelles sont-elles ?

1. Tout d’abord, le remboursement peut avoir été effectué il y a tellement longtemps que l’action en justice par laquelle vous pouvez réclamer ce remboursement est frappée de prescription.

2. Ensuite, votre demande de remboursement pourrait être constitutive d’un abus de droit dans certaines circonstances particulières (c’est toutefois peu fréquent en pratique).

3. Enfin – et c’est l’argument le plus souvent soulevé par les banques – vous pouvez avoir renoncé, lors du paiement de l’indemnité, à la possibilité de remettre en question son montant ultérieurement.

La protection offerte par l’article 1907bis du Code civil n’est en effet pas d’ordre public, mais seulement impérative, de sorte que vous pouvez valablement y renoncer a posteriori. 

Si ce troisième point retient régulièrement l’attention des tribunaux, c’est parce que  cette renonciation peut être tacite, c’est-à-dire qu’elle peut résulter implicitement du paiement sans réserves de l’indemnité, alors même que vous n’auriez pas expressément exprimé votre intention de renoncer à cette protection.

Certaines banques plaident ainsi régulièrement qu’en payant l’indemnité de funding loss lors du remboursement du prêt, l’emprunteur a tacitement renoncé à cette protection légale.

Deux décisions très récentes du tribunal de l’entreprise francophone de Bruxelles nous donnent l’occasion de faire le point sur les conditions dans lesquels il peut être considéré que vous avez tacitement renoncé à la possibilité de remettre le montant de l’indemnité en cause.

Tout d’abord, et cela semble évident, pour renoncer à un droit, il faut avoir connaissance de celui-ci.

Lorsque vous ignoriez ce droit lors du remboursement de votre prêt, et n’en avez pris connaissance qu’ultérieurement, il ne peut donc être considéré que vous avez tacitement renoncé à remettre le montant de l’indemnité en cause.

Ainsi que l’énonce le tribunal de l’entreprise francophone de Bruxelles (11ème chambre) dans un jugement du 12 mars 2019, « Que l’émission de la volonté soit expresse ou tacite, une renonciation procède toujours de la volonté du titulaire d’un droit d’éteindre ce droit (p. Van Ommeslaghe, op. cit, T.P.R., 1980, (735), n°3, p. 737). Le caractère volontaire de la renonciation résulte d’un acte juridique unilatéral conscient. Il s’ensuit qu’il est nécessaire que celui qui renonce ait connaissance de l’existence de son droit ».

Pour pouvoir refuser le remboursement, votre banque doit dès lors démontrer que vous aviez connaissance de l’existence et de l’application de l’article 1907bis du Code civil lors du remboursement anticipé.

Et si elle parvient à rapporter cette preuve, il reste encore à établir qu’il était dans votre intention de renoncer à cette protection en payant l’indemnité sans émettre de réserves.

En effet, si la renonciation peut être tacite, elle doit néanmoins être certaine.

Autrement dit, il faut que le paiement sans réserves de l’indemnité ne puisse pas signifier autre chose que votre volonté de renoncer ultérieurement à exiger la réduction de l’indemnité au maximum autorisé par l’article 1907bis.

Or, dans bien des cas, le paiement de l’indemnité ne révèle aucunement une quelconque renonciation au droit d’en remettre ultérieurement le montant en cause.

Il en est notamment ainsi lorsque le paiement de l’indemnité s’impose pour pouvoir obtenir la mainlevée des inscriptions hypothécaires détenues par la banque en garantie du prêt.

Le tribunal de l’entreprise de Bruxelles relève ainsi dans un jugement du 18 avril 2019 – après avoir indiqué qu’il ne ressortait d’aucune pièce que l’emprunteur aurait connu la limitation prévue par l’article 1907bis et son éventuelle application à l’indemnité litigieuse – qu’« A titre surabondant, le paiement effectué, pour le compte de la demanderesse, par son notaire, ne peut pas s’interpréter comme une renonciation, puisqu’il était, en l’espèce, uniquement destiné à obtenir une « mainlevée » ».

On doit par ailleurs ajouter qu’il existe une controverse sur la question de savoir si – lorsque les deux conditions reprises ci-dessus sont remplies – le paiement de l’indemnité lors du remboursement anticipé est en soi susceptible ou non d’éteindre le droit que l’emprunteur tire de l’article 1907bis.

Une renonciation à une protection impérative ne peut en effet valablement opérer que si elle intervient alors que les motifs de la protection ont cessé.

D’éminents auteurs énoncent à cet égard que ce n’est qu’une fois le remboursement anticipé effectué (et le cas échéant la mainlevée accordée) que l’emprunteur n’est plus soumis à aucune pression. La protection ne peut dans cette optique cesser qu’après le remboursement anticipé, et non pas lors de celui-ci.

Il n’en reste pas moins qu’il a déjà été jugé que la renonciation au plafond de l’article 1907bis pouvait bien avoir lieu au moment du remboursement anticipé.

En bref, et pour répondre à la question posée en tête de cet article, en dehors de circonstances qui restent de l’ordre de l’exception, le principe est bien que vous pouvez récupérer la partie dépassant 6 mois d’intérêts de l’indemnité payée – même sans réserves – lors du remboursement de votre prêt.

Caroline et Laurent Frankignoul, avocats.

Le 13 mai 2019

3 commentaires

  1. Bonjour Maître Frankignoul,

    ce principe de récupération d’une indemnité payée pour ce qui dépasse les 6 mois est-il valable pour n’importe quel crédit souscrit auprès d’une Banque peu importe la date de souscription, autrement dit, est-ce que cette disposition impérative a un effet rétroactif?

    Cordialement,
    Manfred Gehlen

    1. Bonjour Monsieur Gehlen,

      L’article 1907bis a été introduit dans le Code civil en 1934 et s’applique depuis lors (donc il vise bien les contrats de prêt conclus avant la loi Laruelle).

      Par contre, il ne s’applique qu’aux contrats de prêt et pas à tous les contrats de crédit ; il faut donc vérifier pour chaque contrat (de crédit d’investissement, ouverture de crédit ou autre) que crédit qui a été remboursé anticipativement constitue un contrat de prêt au sens juridique du terme.

      Bien à vous,
      LF

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