Il y a cinq ans, la faillite de Lehman Brothers signait le début d’une série de défaillances bancaires aux Etats-Unis et en Europe.
Sans entrer dans les détails de la crise, nous nous souviendrons que les banques s’étaient massivement endettées afin, notamment, d’investir dans des produits financiers. Elles s’étaient de la sorte rendues fortement dépendantes des marchés de prêts interbancaires.
Dès l’été 2007, la crise des subprimes a installé une certaine défiance entre les banques, emportant d’importantes turbulences sur ces marchés de prêts interbancaires. La chute de Lehman Brothers a porté cette crise de confiance à son paroxysme, provoquant la paralysie de ces marchés.
Faut-il l’écrire, à défaut de liquidité suffisante pour rembourser leurs dettes, les banques se sont trouvées dans une situation délicate ; Elles ont alors assisté, impuissantes, à la chute libre du cours de leur action.
Sans les injections de liquidités opérées par les différentes banques centrales et l’intervention des Etats pour renforcer les capitaux propres des banques, les répercutions de cette crise auraient eu un impact bien plus important sur l’économie réelle.
L’Europe n’a guère attendu pour s’interroger sur les causes de la crise et pour envisager les solutions à mettre en oeuvre pour en sortir.
La Commission européenne a ainsi, dès le mois de juillet 2008, chargé un groupe d’experts de formuler des recommandations, notamment quant à la manière de renforcer le dispositif de surveillance du secteur bancaire et financier en Europe.
Ce groupe d’experts, dirigé par Jacques de Larosière, a publié son rapport et ses recommandations dès la fin du mois de février 2009, et la Commission européenne a présenté les mesures à prendre pour les mettre en oeuvre dans une communication du 27 mai 2009.
Cinq ans après la chutte de Lheman brother, où en est-on ?
(1) La création d’un système européen de surveillance financière
Cinq Règlements et une Directive ont façonné une nouvelle architecture européenne de contrôle du secteur financier et bancaire.
Un Conseil européen du risque systémique (C.E.R.S.) chargé d’identifier les risques systémiques et d’y répondre de manière adaptée a ainsi été mis en place (Règlement UE du 24 nov. 2010), ainsi que trois autorités européennes de surveillance : l’autorité bancaire européenne (A.B.E.), l’autorité des marchés financiers (A.E.M.F.) et l’autorité des assurances et des retraites professionnelles (A.E.A.R.F.).
Depuis lors, à l’échelon européen, le contrôle macroprudentiel du secteur bancaire (contrôle du système bancaire dans son ensemble) est confié au C.E.R.S. Le contrôle microprudentiel (surveillance des opérateurs bancaires pris individuellement) est, quant lui, laissé aux autorités de surveillance des États membres, qui sont à présent placées sous la coordination et l’encadrement des trois nouvelles autorités européennes de surveillance.
(2) L’élaboration d’un cadre européen de redressement et de résolution des crises bancaires
La crise de 2008 a mis en exergue l’absence d’instruments permettant de gérer, au niveau européen, les difficultés qui ont affecté les établissements de crédit.
La Directive du 4 avril 2001 concernant l’assainissement et la liquidation des établissements de crédit ne contient en effet que des normes de droit international privé (consacrant pour l’essentiel une compétence législative et juridictionnelle exclusive de l’État d’origine de l’établissement de crédit en difficulté), mais ne vise pas l’harmonisation des procédures nationales existantes.
Relevant dans ses considérants qu’il « n’existe actuellement aucune harmonisation des procédures de résolution des défaillances d’établissements de crédit au niveau de l’Union », la Commission européenne a adopté, le 6 juin 2012, une proposition de Directive visant à l’élaboration d’un cadre de redressement et de résolution des crises bancaires pour les banques et les entreprises d’investissement (dite Directive BRR).
(3) Des réponses à des problématiques particulières
Les analystes de la crise ont mis en avant plusieurs facteurs ou acteurs qui ont joué un rôle dans la naissance de la crise ou dans son aggravation. Des réponses ponctuelles ont dès lors été apportées, dont les plus marquantes sont sans doute les suivantes :
- Il a été relevé que les exigences relatives aux fonds propres bancaires (qui imposent aux banques de conserver suffisamment de fonds propres pour pouvoir absorber les pertes financières susceptibles d’être rencontrées en cas de crise) étaient insuffisantes.
Une Directive a, dès lors, été adoptée le 16 septembre 2009 (« paquet CDR III »), suivie par une Directive du 24 novembre 2010 (« paquet CDR III »), afin d’améliorer la qualité des fonds propres bancaires (la seconde prévoyant, au passage, des conditions plus strictes lors de l’octroi de bonus, répondant de la sorte aux critiques formulées en matière de rémunérations).
Depuis lors, les nouvelles normes mondiales sur les fonds propres des banques (Bâle III), qui incorporent une dimension macro-économique dans le renforcement des exigences de fonds propres, ont été transposées par deux nouveaux instruments qui remplacent les Directives sur les exigences de fonds propres (« paquet CDR IV ») ; un Règlement du 26 juin 2013 qui établit les exigences prudentielles qui s’imposent aux institutions (dont la mise en application est fixée pour l’essentiel au 1er janvier 2014), et une Directive du même jour qui réglemente l’accès aux activités de réception de dépôts (entrée en vigueur le 17 juillet 2013).
- Les produits dérivés de crédit ont également été pointés du doigt pour le rôle important qu’ils ont joué dans l’aggravation et la propagation de la crise bancaire.
Après l’organisation d’une conférence sur ce thème, la publication de deux communications et l’ouverture de deux consultations publiques, le Règlement « EMIR » du 4 juillet 2012 a été adopté (« European Market Infrastructure Regulation »), qui est entré en vigueur le 16 août 2012.
- Le rôle joué par les agences de notation et l’impact d’une dévaluation par celles-ci de la note d’un titre ont également été au centre de l’attention.
Un Règlement sur les agences de notation de crédit a ainsi été adopté, et est entré en vigueur en décembre 2010. Il a fait l’objet de modifications par un Règlement du 11 mai 2011 afin de tenir compte de la création de l’Autorité européenne des marchés financiers (A.E.M.F.). En application de ce Règlement, les agences de notation sont à présent directement supervisées par l’A.E.M.F., qui est devenue leur autorité de tutelle (au contraire de la supervision des banques qui reste confiée aux autorités nationales de contrôle).
La crise de la dette souveraine a encore entrainé un renforcement des règles applicables aux agences de notation par le biais d’un Règlement du 21 mai 2013 et d’une Directive du 21 mai 2013.
- « Prédateurs boursiers », « vampires du marché », les termes forts n’ont pas manqués dans la presse pour qualifier les fonds d’investissement alternatifs («hedge funds»), ces spéculateurs à court terme qui opèrent parfois en dehors des canaux boursiers.
La Directive AIFM (Alternative Investment Fund Managers) du 8 juin 2011 prévoit désormais une supervision et une réglementation accrues des fonds alternatifs et de leurs gestionnaires. Cet instrument standardise les règles applicables à la gestion de ces fonds alternatifs, et vise à améliorer la transparence de celle-ci vis-à-vis des investisseurs et des autorités publiques (cette Directive a été complétée par un Règlement délégué de la Commission du 19 décembre 2012).
- Parmi les images marquantes de la crise, l’on retrouve sans conteste la course aux retraits à laquelle se sont livrés bon nombre de déposants. Comme en 1929 (bien que dans une ampleur plus limitée), la perte de confiance s’est en effet traduite, du côté des déposants, par le déploiement de longues files devant certains guichets bancaires…
Et pourtant, un système de garantie des dépôts existait, qui aurait dû rassurer ceux-ci. Une Directive du 11 mars 2009 a dès lors modifié la Directive relative aux systèmes de garantie des dépôts en ce qui concerne le niveau de garantie (passé de 20.000 € à 100.000 €) et le délai de remboursement. La Commission a adopté, le 12 juillet 2010, une proposition législative pour une révision plus profonde de cette Directive sur les systèmes de garantie des dépôts, toujours à l’examen à ce jour.
(4) Vers une réforme structurelle du secteur bancaire ?
La crise bancaire de 2008 a révélé l’ampleur des risques liés à l’activité d’investissement des banques. Les portefeuilles de négociation de ces dernières contenaient en effet des produits financiers complexes en importante quantité, dont un certain nombre se sont révélés toxiques.
En février 2012, la Commission européenne a mis en place un groupe d’experts, présidé par Erkki Liikanen, en vue d’étudier les réformes structurelles du secteur bancaire européen qui pourraient être envisagées en sus des réformes en cours.
Par réformes structurelles, il y a ici principalement lieu d’entendre l’adoption de mesures allant de l’interdiction complète de certaines activités dans le chef des banques à l’obligation de confier certaines activités à des structures juridiques distinctes.
L’on se souviendra à cet égard du cloisonnement strict entre banques d’affaires et banques de dépôts imposé, outre Atlantique, par le Banking Act de 1933 (dans le cadre du New Deal du président Roosevelt) et en Belgique, par l’arrêté royal du 22 août 1934 relatif à la protection de l’épargne et à l’activité bancaire.
Sans aller jusque-là, le rapport Liikanen du 2 octobre 2012 propose, notamment, la séparation de l’activité de négociation pour compte propre (c’est-à-dire les transactions effectuées exclusivement au profit de la banque qui y procède) et d’autres activités de marché à haut risque dès lors que ces activités dépassent un certain seuil.
Tracée à gros traits, l’idée est ainsi, entre autres choses, de retirer des banques de dépôts un sous-ensemble d’activités d’investissement, qui pourraient être assignées à une entité distincte (une autre banque ou entreprise d’investissement) au sein du groupe bancaire.
Depuis lors, la France et l’Allemagne ont avancé leurs propres propositions de réformes structurelles, qui retiennent la séparation d’un pan plus étroit d’activités, également à partir d’un certain seuil.
En Belgique, après avoir publié un rapport intermédiaire en juin 2012, la banque nationale (BNB) a publié son rapport final sur les réformes bancaires structurelles en Belgique en juillet 2013.
La BNB y analyse les propositions de réforme existantes et précise que ses recommandations pourraient être considérées « soit comme des mesures provisoires, qui entreraient en vigueur avant la mise en œuvre éventuelle des réformes Liikanen au niveau européen, soit comme des compléments à ces réformes ».
On attend dès lors impatiemment l’examen, par la Commission, des différentes options de réforme recommandées dans le rapport Liikanen.
(5) Conclusion
Les avancées les plus marquées se situent actuellement au niveau du contrôle du secteur bancaire et financier. Le Système Européen de Surveillance Financière mis en place permet, à cet égard, de mieux prendre en compte la dimension internationale de l’activité bancaire et le phénomène de propagation de crise qu’emportent les produits financiers structurés.
L’élaboration d’un cadre européen de redressement et de résolution des crises bancaires, par contre, en est à ses débuts.
En s’attaquant à certaines problématiques mises en exergue par la crise (fonds propres bancaires, encadrement des produits dérivés, rôle des agences de notation, supervision des fonds d’investissement alternatifs, etc), l’Europe a concrétisé bon nombre des enseignements qui ont été tirés de l’analyse de la crise par différents groupes d’experts. Il s’agit d’autant de signaux de nature à restaurer la confiance – pour le moins fragilisée – envers le secteur bancaire et financier.
Mais l’étape la plus importante, celle qui a l’ambition de nous prémunir de pareille crise bancaire à l’avenir, tient certainement dans la concrétisation des recommandations du rapport Liikanen du 2 octobre 2012 sur les réformes structurelles du secteur bancaire.
Sans doute, les contraintes d’ordre politique muselleront-elles les propositions formulées par les différents rapports d’experts actuellement à l’examen.
Il n’en reste pas moins que, dédà précédée par plusieurs initiatives nationales, la Commission européenne se penche actuellement sur cette problématique.
On suivra dès lors avec grand intérêt les travaux de la Commission, comme ceux qui seront menés parallèlement en Belgique pour une réforme d’ampleur du secteur bancaire.
Laurent Frankignoul, avocat
Le 5 octobre 2013