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Funding loss – L’arrêt du 3 février 2022 de la Cour de cassation

Ces dernières années, notre Cour de cassation a rendu plusieurs arrêts concernant la question de la qualification des contrats de crédit en prêts à intérêt ou en ouvertures de crédit.

J’ai déjà consacré, sur ce blog, plusieurs articles aux enseignements qui ressortent de ces arrêts  (pour un aperçu de ces arrêts, cliquez ici).

Dans deux arrêts des 11 mars 2021 et 14 juin 2021, la Cour a notamment rappelé le critère qui permet de distinguer l’ouverture de crédit et le prêt.

Il s’agit de la liberté de prélever (ou de ne pas prélever) les fonds.

A défaut pour le juge de pouvoir constater que le crédité disposait de la liberté de prélever (et de la liberté de ne pas prélever) le crédit, la qualification d’ouverture de crédit ne pourra pas être retenue.

Dans son arrêt du 14 juin 2021, la cour précisait en outre qu’il appartient au juge du fond d’apprécier si l’emprunteur disposait réellement de la liberté de prélever ou non le crédit.

Au regard de l’argumentation habituellement développée par les banques sur ce point, ce n’est pas une précision négligeable : une liberté théorique ou fictive de prélèvement ne permet pas de retenir la qualification d’ouverture de crédit.

Et pourtant, encore après ces arrêts prononcés en 2021, plusieurs articles ont été publiés dans des revues spécialisées par des auteurs de doctrine bancaire qui s’opposent farouchement à l’utilisation de ce critère.

Dans son arrêt du 3 février 2022, la section néerlandophone de la Cour de cassation le consacre à nouveau, en rappelant la précision apportée dans son arrêt du 14 juin 2021 : le critère est bien celui d’une liberté effective de prélèvement.

Cet arrêt est également intéressant en ce qui concerne la possibilité de requalification d’une convention de crédit par le juge (pour un article sur cette question, cliquez ici).

Il l’est encore parce que la Cour rappelle expressément que c’est au juge du fond qu’il appartient d’apprécier, en fait, si la convention constitue un prêt ou une ouverture de crédit.

Dès lors qu’il ressort de l’appréciation en fait effectuée par la Cour d’appel que le contrat offrait bien une liberté de prélèvement effective, la décision (en l’espèce, la qualification du contrat en ouverture de crédit) ne sera dès lors pas cassée par notre Cour suprême.

Les banques se focalisent pour leur part surtout sur un autre passage de cet arrêt du 3 février 2022, qui précise qu’une fois (qu’il est apprécié en fait par le juge du fond) qu’il y a bien liberté de prélèvement, cette liberté n’est pas remise en cause par le fait « dat de kredieten strekken tot financiering van onroerende goederen die in hypotheek worden gegeven tot waarborg van de kredieten ».

Contrairement à ce que certaines banques s’empressent de soutenir, ce passage ne remet nullement en cause la jurisprudence à présent bien établie de nos Cour d’appel à l’égard des crédits dont les fonds doivent être prélevés par l’entremise du notaire pour payer le prix de l’immeuble financé au jour des actes.

Au contraire, dans son arrêt du 3 février 2022, la Cour de cassation rappelle que le raisonnement relatif à la liberté ou à l’absence de liberté de prélèvement des fonds ressort du pouvoir d’appréciation du juge du fond.

Et dans ce cas de figure, l’absence de liberté de prélèvement peut bel et bien se déduire du seul fait que le prix ne peut être prélevé qu’au jour de la passation des actes ; soit parce que le contrat le prévoit, soit en raison de la simultanéité imposée entre la mainlevée des inscriptions hypothécaires préexistantes sur l’immeuble, l’acte de vente de l’immeuble et l’acte de constitution de la nouvelle hypothèque sur ce dernier (sur cette question, cliquez ici).

Cet arrêt n’est par ailleurs pas le seul qui aura été prononcé par la Cour de cassation en matière de funding loss en ce mois de février .

Un autre arrêt, qui tranche l’une des controverses qui subsistait encore en la matière, a en effet également été prononcé (par la section francophone, cette fois).

Je l’aborderai avec vous, sur ce blog, dans les tous prochains jours…

Laurent Frankignoul, avocat.

Le 23 mars 2022

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