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Funding loss – Remboursement anticipé d’un crédit professionnel octroyé pour l’acquisition d’un immeuble

  1. Funding loss et crédits professionnels

La question de la légalité des indemnités réclamées à l’occasion du remboursement anticipé d’un crédit professionnel continue à susciter l’intérêt de la doctrine bancaire et l’intervention récurrente de nos cours et tribunaux.

Les banques présentent généralement ces contrats comme des ouvertures de crédit, c’est-à-dire des contrats par lesquels elles mettent un certain montant à disposition de leurs clients, que ceux-ci peuvent utiliser ou non en fonction de leurs besoins, au moment où ils le souhaitent et dans la proportion qu’ils estiment nécessaire.

Elles invoquent le cas échéant le fait que ces contrats de crédit soient expressément intitulés « ouverture de crédit », qu’une période de prélèvement y soit prévue, voire la possibilité de prélever les fonds en plusieurs tranches.

Les crédités, eux, invoquent généralement les clauses de ces contrats dont il ressort que leur liberté de prélever les fonds y est trop restreinte pour qu’il puisse être question d’une ouverture de crédit.

Le débat porté devant le juge vise alors principalement l’appréciation des caractéristiques de la convention de crédit qui lui est soumise ; il est surtout question d’analyser les clauses du contrat et leur portée.

L’enjeu d’un tel exercice est souvent de taille.

Si le juge estime que les clauses de la convention emportent la qualification d’ouverture de crédit, l’indemnité réclamée à l’occasion du remboursement anticipé ne fait pas l’objet d’une limitation légale en dehors de la récente loi sur le financement des PME.

Si au contraire il estime que ces clauses emportent la qualification de prêt, alors l’indemnité est limitée à un plafond de 6 mois d’intérêts (art. 1907bis du Code civil), que le contrat autorise le remboursement anticipé ou non (voy. l’arrêt du 24 novembre 2016 de la Cour de cassation).

  1. Funding loss et financement d’un immeuble

Dans le cas particulier d’un crédit professionnel qui a été octroyé pour financer l’acquisition d’un immeuble (comme dans d’autres hypothèses spécifiques d’ailleurs), l’approche de la question peut se révéler un peu différente.

En effet, indépendamment de ce que les contrats énoncent expressément, c’est-à-dire indépendamment de ce que l’on peut y lire, l’interprétation de ces contrats se trouve particulièrement éclairée par l’intention des parties.

Bien souvent, les contrats de crédit professionnel relatifs au financement d’un immeuble ne visent nullement à mettre une ligne de crédit à disposition du crédité mais bien à permettre à ce dernier de payer le prix d’un immeuble déterminé lors de la passation de l’acte authentique.

Lorsque de tels contrats prévoient des périodes de prélèvement, et parfois même la possibilité de prélever les fonds en plusieurs tranches, ces différentes clauses se révèlent souvent totalement artificielles.

Dans les faits, les fonds « mis à disposition » ne peuvent en réalité être prélevés que le jour de la passation des actes authentiques de vente (lequel correspond en règle au jour de constitution de l’hypothèque bien souvent exigée par la banque en garantie du crédit octroyé).

Ainsi, le contrat présente le cas échéant, sur papier, les caractéristiques d’une ouverture de crédit, mais dans les faits, le client de la banque ne peut prélever les fonds qu’en un seul prélèvement le jour des actes.

De nombreuses décisions récentes, de tribunaux de commerce et de cours d’appel, stigmatisent l’artificialité des clauses contenues dans ces contrats et limitent ce faisant l’indemnité à 6 mois d’intérêts.

Dans le cas des crédits visant l’acquisition d’un immeuble, il convient ainsi particulièrement de pousser l’analyse au-delà des clauses contenues dans le contrat de crédit afin de rechercher quelle fût l’intention réelle des parties lors de sa signature.

Si cette recherche reste encadrée (il est notamment interdit au juge de retenir une intention des parties qui serait inconciliable avec les termes du contrat de crédit), elle n’en implique pas moins de dépasser la simple lecture du contrat pour tenir compte de l’opération dans laquelle le crédit s’inscrit.

C’est dans ce contexte que le tribunal de commerce de Namur a énoncé, au cœur d’une décision longuement motivée du 4 décembre 2017 qu’« Afin de dégager la commune intention des parties, le Juge du fond peut s’aider de tous éléments utiles qu’il trouve dans la convention elle-même, voire en-dehors de celle-ci, et, le cas échéant, se fonder sur des éléments extrinsèques à la convention, telle que la manière dont les parties ont exécuté le contrat litigieux, in tempore non suspecto, et lorsqu’il n’a pas pu dégager la commune intention des parties, il doit, conformément à l’article 1162 du Code civil, interpréter contre celui qui a stipulé, c’est-à-dire le bénéficiaire de la clause contractuelle, soit en l’espèce (la banque), et en faveur de celui qui a contracté l’obligation, c’est-à-dire celui qui doit subir la clause contractuelle, soit en l’espèce (la créditée) ».

Cette précision ne manquera pas de retenir l’attention du praticien.

Laurent Frankignoul, avocat.

Le 2 mai 2018

 

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