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Le point sur les indemnités de remploi

Dans le premier article mis en ligne sur ce site, je vous faisais part de la controverse relative à l’application de l’article 1907bis du Code civil dans le cadre des ouvertures de crédit.

Pour faire simple, si cette disposition s’applique, les indemnités de remploi doivent être limitées à 6 mois d’intérêts lors du remboursement anticipé du crédit ; sinon, elles peuvent s’élever à des montants bien plus importants.

La loi du 21 décembre 2013 sur le financement des PME a réglé certaines questions alors en suspens.

La loi a en effet octroyé un véritable droit au remboursement anticipé à ces PME et a prévu plusieurs cas dans lesquels aucune indemnité de remploi ne peut leur être réclamée. Mais surtout, en dehors de ces cas, le montant de l’indemnité de remploi s’est vu limité à six mois d’intérêts pour tous les crédits dont le montant initial ne dépasse pas un million d’euros.

Ces différentes dispositions, entrées en vigueur le 10 janvier 2014, encadrent ainsi les hypothèses de remboursement anticipé dans une optique de protection des PME.

Seul le remboursement anticipé des crédits supérieurs à un million d’euros pourra encore, en principe, entraîner la débition de funding loss prohibitives (ces indemnités étant déterminées selon le nouveau Code de conduite qui reprend grosso modo les méthodes de calcul des indemnités qui avaient cours jusqu’alors).

Est-ce à dire que les controverses relatives à l’application de l’article 1907bisne sont à présent plus d’actualité ?

C’eût été trop beau.

En effet, d’une part, la loi nouvelle ne s’applique qu’aux contrats conclus après son entrée en vigueur, de sorte que ces controverses continueront à alimenter le contentieux en ce qui concerne le remboursement anticipé de tous les crédits conclus antérieurement.

Et d’autre part, assez étrangement, les crédits supérieurs à un million d’euros échapperont à l’indemnité de funding loss lorsqu’ils pourront être qualifiés de prêt ; la loi nouvelle précisant expressément qu’en cette hypothèse l’indemnité reste limitée (à six mois d’intérêts) en application de l’article 1907bis du Code civil.

La question de savoir si l’on peut qualifier de prêt un crédit non renouvelable dont le montant n’est versé au client qu’après que la convention d’ouverture de crédit ait été conclue conserve donc toute son actualité.

Pour rappel, une réponse positive à cette question permettra de limiter l’indemnité de remploi à un maximum de 6 mois d’intérêts (art. 1907bis C. civ.), alors qu’une réponse négative exposera le client au paiement d’une indemnité de remploi de loin supérieure.

Actuellement, la plupart des banques à l’égard desquelles les clients invoquent l’article 1907bis se retranchent derrière l’arrêt du 7 août 2013 de notre Cour constitutionnelle.

Elles font dire à cet arrêt que l’ouverture de crédit est un contrat consensuel (c’est-à-dire un contrat qui se forme par le seul échange des consentements) et ne peut être qualifiée de prêt, contrat réel (c’est-à-dire qui requiert la remise d’une chose pour sa formation).

Il faut dire que les banques trouvent à cet égard appui dans la position soutenue par certains auteurs, comme J.-P. Buyle (qui écrit sur son site Internet que l’arrêt de la Cour constitutionnelle met fin à la controverse relative à l’application de l’article 1907bis aux crédits d’investissement accordés aux entreprises) ou J. Cattaruzza (selon qui cet arrêt condamnerait la jurisprudence citée dans le premierpoint de droit, qui qualifie de prêt la remise de fonds opérée en exécution d’une ouverture de crédit non réutilisable assortie d’une période de prélèvement).

Pourtant, comme il l’a été expliqué dans un autre article, la Cour constitutionnelle ne se prononce dans cet arrêt que sur la constitutionalité de l’article 1907bis dans l’interprétation qui en est faite par la Cour d’appel ayant posé la question préjudicielle ; elle ne se prononce pas sur le bien-fondé de cette interprétation.

A défaut de constat d’inconstitutionnalité, et contrairement à ce que ces auteurs soutiennent, l’arrêt de la Cour constitutionnelle ne solutionne donc nullement la controverse, que seule la Cour de cassation peut à présent trancher.

Dans les dernières Chroniques notariales, le professeur Christine Biquet-Mathieu fait le point sur cette controverse, c’est-à-dire sur la possibilité de qualifier de prêt à intérêt ces conventions par lesquelles la banque et son client entendent s’engager sans attendre la remise de la somme prêtée (c’est-à-dire par le biais d’une ouverture de crédit).

Le professeur Biquet-Mathieu rappelle tout d’abord que si la jurisprudence belge estime encore à ce jour que le prêt est un contrat réel, plusieurs auteurs – et non des moindre ajouterais-je – soutiennent au contraire qu’il s’agit d’un contrat consensuel (B. Du Laing, A.-M. Stranart) ; à suivre la thèse de ces auteurs, le remboursement anticipé des crédits d’investissement, même qualifiés « ouvertures de crédit », ne devrait pas pouvoir entraîner d’indemnité supérieure à 6 mois d’intérêts.

Le professeur Biquet-Mathieu démontre ensuite que même si l’on considère le contrat de prêt comme un contrat réel, cela n’empêche nullement de qualifier certaines ouvertures de crédit en contrat de prêt.

C’est en réalité de manière totalement artificielle que certains s’opposent à la qualification de prêt en invoquant le caractère réel du contrat de prêt.

Les partisans de cette thèse estiment en substance que pour qu’un crédit puisse être qualifié de prêt, il faut que les fonds soient remis au même moment que l’échange des consentements.

Or, non seulement cela revient à soutenir que les banques n’accordent jamais de prêts (puisqu’il y a toujours un décalage entre la signature du contrat de crédit et le versement des fonds sur le compte du client), mais cela revient en outre à confondre la question de la qualification du contrat de crédit et celle de son régime légal.

Le raisonnement du professeur Biquet-Mathieu sur ce dernier point peut être résumé comme suit :

Si l’on considère que le contrat de prêt est un contrat réel, alors un contrat de crédit (qui est formé dès que la banque et son client se sont accordés sur l’octroi d’une certaine somme) devient un contrat de prêt dès que cette somme est remise au client. Avant la remise des fonds, il s’agit d’une « promesse de prêt », et dès leur versement, d’un prêt.

Le recours aux ouvertures de crédit n’implique nullement qu’au moment où les fonds sont remis aux clients, le contrat de prêt ne puisse plus se former.

Estimer le contraire revient à considérer que pour qu’il y ait contrat de prêt, il faut que la remise des fonds se fasse simultanément à l’accord initial des parties, que les sommes soient remises immédiatement à l’emprunteur, ce que rien ne permet de soutenir.

Le lecteur intéressé lira les intéressants développements de l’auteur dans l’ouvrage en question (Chroniques notariales, Coord. Y.-H. LELEU, avril 2014, vol. 59, Larcier), tant sur la loi du 21 décembre 2013, que sur l’arrêt du 7 août 2013 de la Cour constitutionnelle et sur la controverse relative à la qualification de prêt en présence d’une ouverture de crédit.

Par contre, le juriste qui souhaite continuer à soutenir que le fait d’accorder un crédit dans le cadre d’une ouverture de crédit empêche automatiquement de qualifier ce crédit de contrat de prêt évitera à tout prix la lecture de cet ouvrage !

A bon entendeur…

Laurent Frankignoul, avocat
Le 5 mai 2014

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