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Indemnités de remploi et ouvertures de crédit : l’arrêt de la Cour constitutionnelle

L’article 1907bis du Code civil énonce que « lors du remboursement total ou partiel d’un prêt à intérêt il ne peut en aucun cas être réclamé au débiteur, indépendamment du capital remboursé et des intérêts échus, une indemnité de remploi d’un montant supérieur à six mois d’intérêts calculés sur la somme remboursée au taux fixé par la convention ».

Nous avons vu dans un précédent article qu’une partie importante de la jurisprudence et de la doctrine distinguait les prêts à intérêt d’une part, auxquels l’article 1907bis s’applique, et les ouvertures de crédit d’autre part, auxquelles cette même disposition n’aurait pas à s’appliquer.

Un courant jurisprudentiel et doctrinal que nous avions qualifié de plus nuancé, estime toutefois qu’une avance consentie en vertu d’une ouverture de crédit pourrait le cas échéant être requalifiée en contrat de prêt à intérêt (la jurisprudence que nous relations en décidait particulièrement ainsi en ce qui concerne les ouvertures de crédit non réutilisables dont le capital est libéré progressivement au cours d’une période de prélèvement, comme il en va généralement pour les crédits à la construction ou pour certains crédits d’investissement).

La Cour d’appel de Bruxelles a adopté la première thèse dans un arrêt du 27 septembre 2012, en énonçant que le champ d’application de l’article 1907bis était limité au prêt à intérêt, qui est un contrat réel et en principe unilatéral, et ne pouvait s’appliquer dans le cadre d’une ouverture de crédit, qui est un contrat consensuel, à titre onéreux et synallagmatique.

Partant de ce postulat, elle a interrogé la Cour constitutionnelle sur la question de savoir si la non application de l’article 1907bis à toutes ou certaines ouvertures de crédit constituait ou non une lacune discriminatoire.

La question posée par la Cour d’appel de Bruxelles à la Cour constitutionnelle était rédigée de la sorte : « L’article 1907bis du Code civil interprété en ce sens que cette disposition n’est pas applicable aux ouvertures de crédit – et en particulier aux ouvertures de crédit non réutilisable – viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que les emprunteurs sont traités de manière différente alors qu’ils se trouvent dans une situation identique ? ».

La Cour constitutionnelle a répondu à cette question par la négative ce 7 août 2013, en énonçant que les similitudes existant entre le contrat d’ouverture de crédit non réutilisable et le contrat de prêt « ne sont pas de nature, à elles seules, à imposer au législateur d’étendre la mesure dérogatoire au droit commun des obligations, prévue à l’article 1907bis du Code civil, à tout type de contrat analogue, sans égard pour le contexte économique particulier dans lequel il y fait recours. Il ne saurait être reproché au législateur d’avoir fixé certaines priorités et de n’avoir dérogé au droit commun des obligations qu’afin de protéger les catégories d’emprunteurs qu’il a pu considérer comme les plus faibles ».

La Cour mentionne à cet égard les législations particulières qui protègent les particuliers en la matière, pour relever que l’article 1907bis n’est appelé à s’appliquer que vis-à-vis des clients professionnels (« Compte tenu de l’objectif poursuivi par le législateur, il est justifié que la limite à la liberté contractuelle, imposée par la disposition en cause, n’ait pas été étendue aux contrats d’ouverture de crédit traditionnellement utilisés dans les relations d’affaires« ).

La Cour a précisé avoir été interrogée sur la constitutionnalité de l’article 1907bis du Code civil « si celui-ci est interprété comme ne s’appliquant qu’aux contrats de prêt et non aux contrats d’ouverture de crédit et, en particulier, aux contrats d’ouverture de crédit non réutilisable. Selon le juge a quo, le contrat d’ouverture de crédit en cause est un contrat consensuel, qui ne peut être assimilé au contrat de prêt. C’est dans cette interprétation que la Cour répond à la question préjudicielle ». Elle ne se prononce donc pas sur l’interprétation qui lui a été soumise.

Il n’en reste pas moins que certains développements de l’arrêt semblent nous livrer la position de la Cour quant à la controverse que nous relations précédemment, en ce que celle-ci estime que « sans doute, en pratique, le contrat d’ouverture de crédit non réutilisable présente-t-il d’importantes analogies avec un contrat de prêt. Il ne s’y assimile toutefois pas parfaitement, ni d’un point de vue juridique, ni d’un point de vue économique. En effet, le contrat d’ouverture de crédit permet au crédité de différer la mise en possession effective des fonds et, partant, le paiement des intérêts. En outre, l’acceptation par le crédité d’une indemnité de remploi élevée pourrait lui permettre d’obtenir un taux d’intérêt plus avantageux« .

De l’arrêt de la Cour constitutionnelle, il ressort donc que le fait d’interpréter l’article 1907bis comme n’étant pas applicable aux ouvertures de crédit ne rend pas cet article inconstitutionnel.

L’on ne peut toutefois en déduire, bien que les développements de la Cour y invitent, que l’article 1907bis doit être interprété comme n’étant pas applicable aux ouvertures de crédit.

Il n’appartient en effet pas à la Cour constitutionnelle, mais bien à la Cour de cassation, de se prononcer sur l’interprétation à donner à l’article 1907bis, et donc sur la possibilité ou non de qualifier une avance consentie en vertu d’une ouverture de crédit en prêt à intérêt.

Tant que la Cour de cassation n’aura pas pris position, la controverse conservera dès lors, malheureusement, toute son actualité.

Laurent Frankignoul, avocat.
Le 19 août 2013

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